La réforme de la Charte de la langue française revisitée
L’exception ne fait pas la règle
En cette année encore toute jeune, nous profitons de l’occasion pour vous offrir une mise au point sur ce qui se passe sur le terrain en nous basant sur la réalité de plusieurs de nos clients et sur de nombreux témoignages d’entreprises non clientes au cours de la dernière année.
Le projet de loi 96 qui a été adopté le 24 mai 2022 pour devenir la Loi 14 prétendait rénover la Charte de la langue française (CLF) 45 ans après son adoption. « La loi que nous adoptons aujourd’hui représente le début d’une grande relance linguistique qui permettra à la nation québécoise de continuer d’exprimer pleinement son identité et ses valeurs », a dit le ministre Simon Jolin-Barrette, appuyé par le premier ministre qui a qualifié la loi de « responsable » et « modérée ». Le temps nous dira, mieux que les politiciens, si cette rénovation aura l’effet escompté, mais 2 ans après son adoption, on peut déjà en douter.
Un exercice inutile pour la vitalité du français au Québec
Nous constatons que les changements apportés à la loi auront été un exercice inutile qui n’aura pas de conséquence importante sur la vitalité du français au Québec ni sur le poids des francophones au Canada. Il a cependant des effets délétères sur la réputation internationale du Québec et sur son économie. Ce projet de loi était avant tout conçu pour épater les Québécois francophones et leur montrer que leur gouvernement prenait ses responsabilités historiques afin de protéger le français. Et ce fut une réussite parce que l’illusion a été complète. Le public auquel cette illusion était destinée aura applaudi un projet musclé où les coupables tout désignés sont en l’occurrence les entreprises et le bilinguisme.
Ce raccourci évite à chaque francophone d’avoir à se poser des questions sur les causes réelles du déclin du français. Est-ce que Montréal s’angliciserait parce que les francophones l’auraient déserté pour la banlieue, alors que l’immigration atteint dans la cité des sommets inégalés ? Quel effet a sur la diffusion du français la culture numérique anglophone envahissante ? Que faisons-nous pour aider les jeunes francophones qui peinent à utiliser leur langue maternelle ? Comment en sommes-nous arrivés là, malgré une réglementation linguistique unique au monde et des immigrants qui se francisent de plus en plus dans la province ? Devrions-nous plutôt chercher du côté d’une responsabilité collective déficiente envers la langue française ?
La question de la vitalité du français au Québec est complexe parce qu’elle est multiforme. Il est simpliste d’accuser l’omniprésence de l’anglais pour en expliquer le déclin. Il aurait fallu sortir de ce lieu commun qui empêche d’apprécier la complexité du problème afin de trouver des solutions concrètes et diversifiées pour que le français continue à briller en Amérique. Le gouvernement a choisi de légiférer pour soi-disant renforcer la Charte de la langue française, ce rempart virtuel de notre identité francophone, en oubliant que l’identité n’est pas définie par une loi, mais par les choix que chacun fait pour lui-même.
Le bilinguisme au banc des accusés
Les entreprises sont au premier chef les coupables désignés de cette campagne politique de relations publiques. La partie de la loi qui porte sur la francisation des entreprises est devenue avec le projet de loi 96 plus dense et plus complexe, notamment en ce qui concerne les relations que les entreprises entretiennent avec leurs travailleurs et avec leurs clients au Québec. La loi rend maintenant plus difficile l’embauche de travailleurs bilingues, même lorsque c’est justifié. La majorité des entreprises travaillent déjà en français puisque 89 % des travailleurs utilisaient le français en 2016, selon une étude de l’Office québécois de la langue française (OQLF). S’il y a eu une baisse de ce nombre au cours des années, c’est parce que l’anglais s’est imposé à Montréal dans le secteur de la science et des technologies et que les relations de nos entreprises avec l’extérieur du Québec se sont multipliées. Nous exportons davantage et cela renforce notre économie. Entre 2006 et 2016, l’utilisation prédominante du français à Montréal est passée de 72,2 % à 69,6 %, mais paradoxalement, celle de l’anglais a aussi diminué. De plus en plus de travailleurs montréalais utilisent maintenant autant le français que l’anglais au travail. C’est donc l’augmentation de ce « bilinguisme » dans les milieux de travail montréalais qui explique la légère baisse d’utilisation prédominante du français par les travailleurs québécois. Sommes-nous moins francophones pour autant ? Le bilinguisme menace-t-il l’existence du français ? Ce sont des questions pertinentes auxquelles notre gouvernement ne croit pas utile de répondre.
Un faux débat
Fallait-il à cause de cette légère baisse s’attaquer au bilinguisme afin de préserver le français, comme le fait désormais la loi en mandatant l’OQLF pour exiger des entreprises qui requièrent la connaissance d’une autre langue que le français, qu’elles réduisent au minimum le nombre de postes bilingues ? Qui protège-t-on au fait, sinon des unilingues francophones ? L’avenir du français dépend-il du nombre d’unilingues francophones ? Que gagne-t-on exactement pour le français avec les restrictions sur le bilinguisme ? Les unilingues francophones, qui ne seraient pas embauchés à cause d’une exigence inutile de bilinguisme, peuvent porter plainte à la CNESST et obtenir facilement gain de cause. L’Office applique la loi avec zèle. Mais en s’attaquant au bilinguisme, on s’attaque à l’économie et aux relations que le Québec entretient avec le monde extérieur. On s’attaque à la capacité des Québécois à s’enrichir avec des jobs payantes. Les entreprises qui sont harcelées sont celles qui font des affaires à travers le monde et souvent ce sont des entreprises étrangères qui n’ont pas de clients au Québec. Réduire leur personnel bilingue, c’est tout comme les inviter à s’en aller.
Une loi là où un règlement aurait suffi et des ressources gaspillées
La loi étendra le 1er juin l’obligation de généralisation du français aux employeurs de plus de 25 personnes et elle oblige déjà ceux qui emploient au moins 5 personnes à offrir aux travailleurs non francophones les cours de français de Francisation Québec. Fallait-il une loi pour accomplir tout ça ? Non, puisqu’il suffisait d’ajouter un règlement à la Charte pour définir la notion d’entreprise et en profiter pour déclarer qu’un franchiseur et ses franchisés ne forment qu’une seule et même entreprise. Au lieu de ça, l’OQLF devra continuer à franciser, l’une après l’autre, chaque entité juridique reliée à un franchiseur et certifier l’une après l’autre toutes les divisions immatriculées d’une même entreprise. C’est un gaspillage immodéré de ressources par une bureaucratie qui cherche à justifier son existence par la multiplication des procédures. Quant à Francisation Québec, créée par ce projet de loi, des budgets suffisants auraient permis de financer des cours de français dans toutes les régions du Québec.
Des délais réduits pour les entreprises et un OQLF débordé
Ensuite, on a compliqué le processus de conformité à la loi en réduisant de moitié les délais de production des rapports et formulaires, on a imposé une double représentation à la tête des comités de francisation et on a empêché les entreprises d’être représentées auprès de l’OQLF par des experts. Résultats ? L’OQLF est en retard d’au moins deux ans dans le traitement de ses dossiers et doit émettre des lettres en vitesse pour expliquer que l’entreprise n’est pas en défaut, en lieu et place des attestations prévues dans la loi. Pourquoi avoir raccourci les délais des entreprises, sans se soucier des conséquences, sinon pour démontrer au grand public qu’on voulait serrer la vis ?
La loi qu’on applique n’est pas toujours celle qu’on a votée. Tout dépend de la façon dont celui qui l’applique la comprend.
Une interprétation biaisée de la loi
Selon la logique de l’OQLF, toute entreprise installée au Québec a l’obligation de travailler en français. Ce n’est pas ce que dit la loi. La CLF donne le droit aux travailleurs de travailler en français et donne l’obligation aux employeurs de mettre à la disposition des travailleurs les moyens pour qu’ils puissent le faire lorsqu’ils souhaitent exercer leur droit. Mais la loi ne donne pas l’obligation aux travailleurs de travailler en français, et n’oblige pas les employeurs à forcer leurs travailleurs à travailler en français. C’est pourtant ce que l’OQLF exige des employeurs en leur imposant des mesures restrictives ou prohibitives dans leurs programmes.
Ce ne sont pas toutes les entreprises qui peuvent généraliser l’utilisation du français sans conséquences fâcheuses pour leurs affaires. On ne parle pas ici du patron anglophone qui fait travailler ses employés en anglais pour son confort personnel. On parle plutôt d’entreprises innovantes, dont certaines sont recrutées par Montréal International, qui font converger ici des projets et des affaires dont la portée est internationale. Ce sont aussi des entreprises québécoises qui se sont développées sur les marchés extérieurs et qui n’ont que très peu de clients, sinon aucun, au Québec. Ces entreprises sont génératrices d’emplois payants. Certaines font rayonner le Québec à travers le monde et elles doivent demeurer concurrentielles à l’échelle internationale. Elles ne représentent même pas un pour cent de toutes celles qui doivent généraliser l’utilisation du français. Mais ce sont celles-là qui se font harceler par l’Office quand elles exigent de leurs employés le bilinguisme.
Une préférence pour les traitements particuliers au détriment d’ententes particulières légitimes
Le projet de loi 96 a évité de moderniser l’article 144 et ses règlements. L’article 144 fait encore référence aux sièges sociaux qui menaçaient de quitter le Québec au moment de l’arrivée au pouvoir d’un parti souverainiste il y a une quarantaine d’années. Ce modèle a cessé d’exister avec l’arrivée de l’Internet qui permet de créer des équipes virtuelles sans frontières. L’OQLF exige d’entreprises qui ne sont pas des sièges sociaux, mais qui ne font des affaires qu’à l’extérieur du Québec, qu’elles généralisent l’utilisation du français. Le plus gênant, c’est l’acharnement qui est mis à vouloir franciser des entreprises qui ne peuvent pas l’être. L’article 144 permet de déroger à cette obligation par une entente avec l’OQLF. Cette entente prévoie par ailleurs des mesures de francisation permettant de protéger au Québec les droits des travailleurs, des consommateurs et des citoyens à des communications en français, mais permet à l’entreprise de travailler en anglais avec l’étranger. Cet article est peu utilisé parce que l’Office refuse les entreprises admissibles en prétextant qu’ils ne répondent pas à la définition de siège sociaux d’autrefois et préfère les traitements discrétionnaires aux ententes particulières.
La loi 96 : un exercice politique
L’article 144 est pourtant un élément essentiel de la Charte de la langue française qui démontre toute la souplesse et l’adaptabilité de la loi dans les situations qui l’exigent. La modification de l’article 144 et de ses règlements était nécessaire dans le contexte de cette réforme. On a soigneusement évité de les modifier pour laisser cette partie de la loi dans l’état délabré dans lequel elle se trouve, afin de pouvoir décider de façon discrétionnaire qui peut travailler dans une autre langue que le français. Pour nous, c’est la preuve que le projet de loi 96 était davantage un exercice politique qu’une véritable rénovation de la Charte de la langue française.
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Chantal Larouche
Présidente, GP Conceptal inc.
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